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Une arme de compression massive !
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Le corbeau est un animal mythique et sacré qui apparaît dans de nombreuses cultures à travers le monde. Depuis l’Antiquité, ce volatile induit fascination et crainte de par son apparence ténébreuse, - son plumage noir -, et ses mœurs nécrophages. Symbole de la Mort et de la Damnation, il a presque toujours été pourchassé ou mis sur un piédestal. Ce sont les cultures nordiques qui ont été souvent les plus clémentes avec ce magnifique représentant de la gent aviaire. Les Vikings, par exemple, considéraient cet oiseau comme une représentation divine de par son rôle de messager d’Odin. Hugin et Munin, car ils étaient deux, étaient, la plupart du temps, assis sur les épaules du dieu des Morts, de la Victoire et du Savoir. C’est eux qui furent sensés observer et rapporter les évènements du monde des mortels à Odin, afin qu’il puisse agir en conséquence sur Midgard. Dans les légendes britanniques, le corbeau servait souvent de périphrase, ou kenning, pour désigner les terribles guerres, ceci sous l’appellation « hraefn », en vieux saxon, ou « hrafn », en norrois, d’où le nom anglais « raven ». Le corbeau, scientifiquement nommé « corvus corax », était aussi un élément essentiel des mythologies celtique et saxonne. En Pays de Galles, le corbeau était carrément considéré comme un Dieu (Bran Le Béni). Les Bretons se l’imaginaient comme un Roi géant dans les contes de Mabinogion, tandis qu’en Irlande il était synonyme de champ de bataille (Badb et Morrigan). Plus récemment, ce corvidé fût considéré comme le gardien de la paix du Royaume d’Angleterre. Sa présence permet de protéger le territoire de sa Majesté contre d’éventuelles invasions et le gouvernement s’assure régulièrement qu’il y a toujours des corbeaux à proximité de la Tour de Londres. Cette croyance est née à l’époque victorienne où les contes et légendes étaient pris très au sérieux par les lecteurs, qui croyaient dur comme fer à leur véracité. De l’autre côté de la planète, d’autres peuples croient aussi dans le pouvoir du corbeau. Les tribus amérindiennes Salish, Koyukon ou Tsimhian, pour ne citer qu’elles, pensent que cet oiseau est celui qui a créé le monde et l’anime en bien ou en mal. Dans l’ensemble des cultures mondiales, le corbeau est une créature vile, répugnante, apportant misère et chaos, ceci à travers les guerres, l’extermination. Il a, donc, une image violente et sordide. Et pourtant, il s’agit plutôt d’un animal intéressant, dont l’intelligence est comparable à celle d’un grand primate voire celle d’un humain d’après les dernières études éthologiques, loin des clichés tenaces. C’est parce-que cet animal est fascinant et qu’il est synonyme de puissance et de mystère, que de nombreuses formations metal ou folk le choisissent comme emblème ou totem, voire même en lui rendant un hommage mérité en utilisant son nom. Notamment parce qu’il apparaît dans les récits de TOLKIEN, où il est dépeint tantôt comme un serviteur du mal (dans le Lai de Leithian, c’est à dire la biographie poétisée du couple Beren et Lúthien, le corbeau est à la solde de Draugluin, bras droit de Sauron), tantôt comme une aide précieuse au service de Gandalf ou comme conciliateur (Roäc) entre les trois royaumes des Nains issus de la lignée de Durin, des Elfes de Mirkwood et des Hommes de Lacville juste avant la bataille des cinq armées sur le parvis d’Erebor. Dans les ouvrages de TOLKIEN il est aussi question d’opposer la bonté des corbeaux et la perfidie des corneilles, autres représentants de la famille des corvidés, qui servent d’appui à Saruman dans Le Seigneur des Anneaux et qui font l’objet d’une rapide allusion par Balin devant la Montagne Solidaire (Le Hobbit). Ces extraits littéraires permettent de réhabiliter ce majestueux volatile et de le doter d’une aura céleste de par son essence prophétique. Il est aussi, pour beaucoup de gens, le lien entre le monde des vivants et celui des morts (comme dans la série The Crow, où il est relié aux esprits des ancêtres des indiens d’Amérique du Nord). C’est pourquoi son symbolisme attire énormément et que l’utilisation d’un patronyme de groupe en lien avec le corvidé est souvent synonyme de surnaturel, de magie et, dans les cas les plus extrêmes, d’occultisme ou de puissance. Ce choix de porter le nom commun britannique de cet oiseau est une option choisie par le trio britannique RAVEN, dont je vous présente le nouvel album aujourd’hui. La formation originaire de Newcastle (comté du Tyne & Wear, au nord-est de l’Angleterre) et désormais basée à New York (dans l’état du même nom aux USA) a vu le jour en 1974 sous l’impulsion des frères GALLAGHER (John, bassiste/chanteur, et Mark, guitariste) qui, je le précise, n’ont aucun lien de parenté avec les autres frangins camés d’OASIS. Le combo fait partie intégrante des pères fondateurs de la NWOBHM et n’a jamais vraiment percé malgré la qualité de son heavy/speed metal burné et un magnifique hat-trick discographique en début de carrière au travers de trois enregistrements studios détonants (Rock Until You Drop, Wiped Out, All For One) qui auraient normalement dû durablement les porter au firmament du music business aux côtés des superstars de IRON MAIDEN ou SAXON. Ce ne fût pas le cas à cause d’une maladroite réorientation de leur son qui, à l’occasion de la sortie de Stay Hard (1985) dans les bacs, s’est fait plus commercial. Ce qui n’a, évidemment, pas plu aux fans de la première heure, qui ont préféré se concentrer sur des groupes fidèles à leurs racines, tels que IRON MAIDEN ou DIO. Deux années plus tard, en 1987, la petite troupe de ménestrels s’est décidée à renouer avec ses premières amours et s’est à nouveau attirée les faveurs de ses supporters grâce à Life’s A Bitch, un album plus sombre que ses deux prédécesseurs et, surtout, bien moins expérimental. C’est ainsi que RAVEN a pu se remettre dans le droit chemin et continuer sur cette lancée de façon plus ou moins réussie jusqu’en 2001 où un grave accident à empêché Mark de se remettre au travail pour donner un successeur à One For All qui a permis au trio de clôturer les années 90 d’une des plus belles manières qui soient. Il aura fallu près de 5 ans aux britanniques pour rattraper le temps perdu en reprenant la voie des concerts et se remettre à bosser sur un nouvel opus, le très conventionnel Walk Through Fire, ayant originellement pointé le bout de son nez en 2009 au Japon mais distribué partout ailleurs dans le monde en 2010 après la signature de contrats avec Metal Blade et SPV. Néanmoins, il aura fallu patienter cinq longs printemps de plus pour avoir la joie de découvrir cet explosif déjà 13ème album des, dorénavant, citadins new-yorkais.
Comme vous avez pu le constater, les vieux briscards de la NWOBHM se sont amusés à la création d’un jeu de mot en liant les termes « Extermination » et « Nation » en portant une majuscule entre les syllabes « mi » et « tion », rappelant ainsi aux auditeurs que nous sommes que l’un des thèmes de prédilection du groupe est celui de la guerre, qui n’est, donc, pas sans évoquer celui du corbeau, dont je vous ai présenté la symbolique plus haut dans cette chronique. Bien entendu, la formation évoque également d’autres sujets plus variés et moins belliqueux, comme tout combo de la scène metal anglais des eighties qui se respecte, tel que la musique en elle-même (Thunder Down Under). Mais, ce sont bien la guerre et l’histoire qui intéressent principalement ce triumvirat d’excellents musiciens. C’est ainsi qu’il est beaucoup question des conflits divers, qui enflamment régulièrement le monde, sur cette plus récente galette. C’est à peu près la ligne directrice, textuelle et non conceptuelle, qui prévaut ici. Musicalement, le groupe est plus contrasté, avec des compositions enjouées, énergiques et directes. Ce qui surprend énormément quand on prend le temps de se pencher sur les paroles plutôt sombres. Cela dit, c’est ce qu’il fallait à ce superbe ExtermiNation qui, sans être un chef d’œuvre, est quand même, et cet avis n’engage que moi, une nouvelle pièce maîtresse dans la discographie de RAVEN et rejoint sans mal la trilogie Rock Until You Drop/Wiped Out/All For One, dont il se rapproche qualitativement parlant. Plus brutal que Walk Through Fire, ExtermiNation se révèle aussi beaucoup plus solide sans les passages parfois « pop-oriented » qui faisaient bien tâche sur son prédécesseur. ExtermiNation se concentre uniquement sur l’essentiel de la NWOBHM : de grosses guitares, des riffs monstrueux, une rythmique TGV, des mélodies puissantes et un chant très versatile. C’est tout ! Cette fois, les frangins et leur collègue-frappeur de fûts Joe HASSELVANDER se sont débarrassé de toutes les fioritures non-nécessaires pour aller droit au but. Ce qui fait de cet ExtermiNation un album sans concession, un missile métallique qui décolle rapidement, fonce et nous explose à la figure de la première seconde de Destroy All Monsters (qui est le nom d’un live que la formation a immortalisé au Japon en 1995) à la dernière du bonus track Malice In Geordiland. D’ailleurs, l’intro de Destroy All Monsters reprend le bruitage d’un champ de bataille et l’on se dit à ce moment précis qu’effectivement l’influence allégorique du corbeau comme gardien des lieux de luttes sempiternelles entre armées ennemies convient parfaitement à notre bande de joyeux troubadours. L’épique rejoint la nervosité instrumentale et la vitesse d’exécution évoque la ferveur des combattants durant le carnage et la folie qui s’en suit. Toutefois, et cela est bien heureux, le groupe ralentit la cadence avec des mid-tempi qui soulagent un tantinet notre nuque, notre guibole droite, nos poignets et nos esgourdes. Parce que, oui, cet opus donne sérieusement envie de revenir à l’air-drumming, à l’air-guitar et à l’headbanging-attitude. Quand cette appétence survient lors de l’écoute d’un disque de metal, c’est qu’il est forcément au minimum bon et au maximum extraordinaire. Ici, nous nous situons entre les deux. Donc, un excellent cru sans être hors du commun. Et qui fleure bon le début des années 80, autant dire la période dorée de la formation. Qui donne l’impression de n’avoir jamais pris une ride, contrairement à BLACK SABBATH, malgré les ennuis de santé de Mark d’il y a quinze piges. Le trio est toujours un club de jouvencelles burnées. La seule chose qui a changé depuis les débuts est la production beaucoup plus vigoureuse qui rend justice aux morceaux tout aussi musclés, qui s’enchaînent à vitesse grand V pour nous laisser complètement à plat après cet étalage de vivacité musicale. Finalement, RAVEN a su se ressaisir après un Walk Through Fire mi-figue mi-raisin, trop mollasson pour moi et qui ne reflétait vraiment pas l’essence même du groupe, celle qui est pleine de hargne et de volonté d’en découdre. Cet ExtermiNation est beaucoup plus qu’un simple album. C’est un véritable Big Bang énergétique, une supernova de notes incisives, une explosion rythmique intense, qui non seulement ravive la flamme intérieure de notre jeunesse « perdue » mais qui va sans doute la rallonger d’une bonne décennie voire plus. Grâce à son art musical qui oscille entre heavy metal couillu (Feeding The Monster, Scream) et hard rock pêchu (River Of No Return, It’s Not What You Got), RAVEN vient de nous offrir une rondelle digne des grandes épopées nordiques et des guerres puniques, une réelle tuerie qui vous prendra aux tripes. Des disques comme celui-ci, je le répète assez souvent certes, sont rares et doivent être largement appréciés. Si vous êtes curieux de savoir ce que ça fait de passer sous un tank comme l’allemand dans Indiana Jones, un rouleau compresseur comme Chris ANGEL ou un rouleau à pâtisserie comme une pâte à pizza, vous pouvez largement tenter le coup en vous laissant aplatir par cette arme de compression massive, qui vous envoie directement au sol sans passer par la case pétrissage (vous ne recevrez, donc, pas 20000 euros). Cela changera à jamais votre perception du heavy metal si vous pensiez que c’est un style obsolète, fait pour les vieux par des vieux avec des vieux. Vous ne ressortirez pas indemne culturellement parlant de l’écoute de ce jus de fruits sur- et multivitaminé ! Par contre, l’avantage, c’est que vous n’aurez pas perdu votre dentier ! Votre mutuelle vous en remerciera allègrement même si vous n’obtenez d’elle aucune remise sur votre cotisation mensuelle ! Cela dit, vous aurez passé un sacré bon moment, ce qui compense largement le racket organisé de votre assurance santé, n’est-il pas ? Tout ce baratin pour vous dire que vous ne devez absolument pas manquer, et ce sous aucun prétexte, ce puissant cocktail de rage pure, de folie douce, de mélodies entêtantes et de frénésie guerrière, éléments essentiels qui permettent à ces habitués de la NWOBHM de vous démontrer qu’il ne faut pas encore les enterrer et qu’ils en ont encore dans la brioche (oui, dans les noix de pécan aussi, si vous voulez...). L’ombre du corbeau combattant les a une nouvelle fois entouré de ses ailes inspirantes et leur a donné la force et la sagesse du Braveheart pour composer, enregistrer et nous présenter une offrande presque parfaite, allant uniquement à l’essentiel et très addictive. Il n’est pas trop tard pour mendier au Daron Noël de rajouter cette rondelle pétillante dans votre chaussette accrochée sur la cheminée du salon. Je vous promets un feu d’artifice métallique pour le nouvel an, histoire de faire excellente impression devant vos potes, qui en seront tellement estourbis que vous pourrez récupérer subrepticement leurs canettes de Trooper (accessoirement leurs coupes de Dom *biiiiiip*rignon si vous êtes plus smart) et toutes vous les enfiler avant qu’ils ne reprennent progressivement leurs esprits. Que la Force soit avec vous, mes jeunes padawans corbacs !
Line-up :
• John GALLAGHER (chant, basse) • Mark GALLAGHER (guitares) • Joe HASSELVANDER (batterie)
Equipe technique :
• Kevin GUTIERREZ (enregistrement, mixage) • Bill WOLF (mastering)
Enregistré entre les mois d’août et décembre 2014 aux Assembly Line Studios à Vienna (état de Virginie, USA)
Destroy All Monsters
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