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26/10/2018
The view from below
HEIR APPARENT
 
Autant annoncer la couleur d'entrée de jeu : je suis totalement incapable d'aborder la critique de The View From Below de manière objective. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'en 1986, je fis partie des acheteurs fébriles et des zélateurs obstinés du premier album de ce groupe originaire de la région de Seattle, l'inestimable Graceful Inheritance. Enregistré l'année précédente et sorti en Europe sur Black Dragon records (CANDLEMASS, CASTLE BLAK, MANILLA ROAD, SAVAGE GRACE, EXXPLORER...), illustré par l'immense Eric LARNOY (décédé bien trop tôt, voir l'illustration ici cliquez ici), Graceful Inheritance fit partie de ces albums qui prouvaient que l'on pouvait revivifier le pur Heavy Metal, sans avoir recours aux excès du Speed ou du Thrash, pas plus qu'à l'hybridation propre au Crossover.

Le second souvenir très personnel concernant HEIR APPARENT concerne le second album, One Small Voice, paru en 1989. Même si le groupe avait signé chez Metal Blade, label indépendant fort réputé et distribué à l'époque en Europe par Roadrunner, le groupe avait décidé de changer drastiquement de style, abandonnant son Heavy Metal flamboyant pour... Pour quoi, d'ailleurs ? Pour une approche ô combien plus pondérée, presque raisonnable et manquant cruellement d'une direction cohérente. Symbole de cette reconversion stylistique mal maîtrisée, l'album comprenait une reprise dispensable du fameux Sound Of Silence de SIMON & GARFUNKEL ! Suite à cette expérience personnelle si intensément décevante, je rayai HEIR APPARENT de la liste des groupes à suivre et la séparation de la formation sembla confirmer mon option un tantinet radicale.

Aussi, quand presque trente ans après cette amère désillusion, je m'apprêtai à découvrir le troisième album de HEIR APPARENT, vous comprendrez aisément l'appréhension, voire la prévention, qui furent miennes. Certes, la formation reformée comporte le fondateur du groupe, j'ai nommé le brillant guitariste Terry GORLE, mais aussi la section rythmique originelle, à savoir Derek PEACE à la basse et Ray SCHWARTZ (connu sous le nom de Raymond BLACK en 1986 et Ray BLACK en 1989) à la batterie. Les trois compères sont dorénavant épaulés par le chanteur Will SHAW et le claviériste Op SAKIYA. Par ailleurs, ce nouvel album se trouve avoir été produit par un certain Tom HALL, qui avait coproduit Graceful Inheritance et qui avait officié comme ingénieur du son sur les deux premiers disques (qui plus est, il a été ingénieur sur le premier EP de QUEENSRYCHE, et a oeuvré sur une partie de l'album Empire). Hormis un visuel objectivement démotivant et indigne, on peut dire que les données initiales incitaient à une certaine bienveillance.

Bienveillance balayée par l'écoute de cet album rêvé, qui, fort heureusement, donne à entendre un groupe prolongeant son Heavy Metal fougueux et élégant de 1986, tout en lui apportant la maturité et les perfectionnements que l'on était en droit d'attendre par la suite ! L'album se trouve pourvu d'un son puissant, conservant un grain typique du Heavy Metal traditionnel des années 80, mais avec une clarté et un tranchant actuels. Par de compromission donc, juste une légitime et salvatrice mise à niveau sonore.

Du point de vue du style, si HEIR APPARENT a quelque peu perdu en nervosité et en fougue, il a considérablement gagné en maîtrise et en maturité. Soit exactement ce que nous étions en droit d'attendre des albums succédant à Graceful Inheritance. Sans avoir recours à une complexité excessive, le groupe produit un Heavy Metal à la fois compréhensible à chaque instant et relativement complexe dans ses structures, le qualificatif de progressif n'étant pas usurpé, à condition de le concevoir dans la veine d'un FATES WARNING. Cette approche profonde et émotive prend toute son ampleur sur les compositions les plus longues, notamment Further And Farther et The Road To Palestine qui atteignent ou excèdent le palier des sept minutes. Cette dernière composition apparaît comme un compromis idéal entre le Egypt (Chains Are On) de DIO (cliquez ici) et du trop méconnu Desert Song/Pharaohs March de AVIARY (cliquez ici).
Ainsi, au sein d'un même titre, se côtoient des riffs sévères et des arpèges enchanteurs, des parties rythmiquement intenses ou mélodiquement délicates. Les tempos médiums et lents s'imposent majoritairement, sans aucune sensation de perte d'intensité, permettant au contraire un exposé proportionné et conséquent des éléments contrastés à l'oeuvre : riffs acerbes, solos équilibrant technicité, feeling et musicalité, batterie souple mais très sèche, basse métallique et épaisse, arrangements de claviers (aux sonorités un tantinet datées, c'est dommage mais pas rédhibitoire). A chaque instant, le dosage entre puissance et douceur, entre rugosité et évidence mélodique, entre complexité dramatique et immédiateté inhérente au Metal, se trouve idéalement mis en scène, sans faux-semblants, au contraire avec un souci d'efficacité maximal.

A l'instar de leurs voisins géographiques de SANCTUARY (ressuscités en 2014, en forme bien plus qu'honorable vingt-quatre ans après leur second album), HEIR APPARENT restaure et amplifie sa crédibilité, voire réinstalle l'idée d'un Heavy Metal évolutif (sans trahir), ménageant dramaturgie et efficacité, puissance et mélodie.
Outre la cohésion fondamentale de la section rythmique et la versatilité opportune de la guitare, il faut impérativement relever et saluer la performance du chanteur Will SHAW qui alterne avec une aisance surhumaine les prestations en registre clair et émotif, les performances en mode crispé et nerveux, ainsi que les envolées plus lyriques. Vieux briscard que je prétends être, je puis vous affirmer que nous tenons là un chanteur hors du commun, un guitariste impressionnant, une section rythmique imbattable, ainsi que des compositeurs avérés et des interprètes affûtés.

Selon mon baromètre personnel, cet album nécessite une acquisition impérative. Je prends l'engagement personnel et solennel d'acquérir cet album, afin de saluer la parfaite réussite artistique de HEIR APPARENT, faisant écho aux fortes émotions suscitées par le désormais dépassable Graceful Inheritance.

Vidéos de Synthetic Lies cliquez ici, Man In The Sky cliquez iciet The Door cliquez ici
Alain
Date de publication : vendredi 26 octobre 2018