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07/12/2020
Strangers in the night
UFO
 
En 1979, le double album en public Strangers In The Night couronnait les efforts réitérés du groupe britannique UFO pour acquérir une notoriété enviable aux États-Unis, à l’époque principal marché pour ce genre de groupes. Effectivement, ce disque est devenu emblématique pour UFO, devançant même des albums studios de fort belle qualité. Pourtant, au moment de sa parution, le momentum d’UFO outre-Atlantique se trouvait de facto mort-né. Principal compositeur depuis son arrivée au sein du groupe, depuis l’album Phenomenon (1974), le guitariste allemand Michael SCHENKER a d’ores et déjà quitté la formation. Cela n’empêche pas l’album de devenir une référence, alors même que la décennie 70 s’achève, alors même que la plupart des albums "live" emblématiques sont d’ores et déjà passé à la postérité. Je songe notamment aux mythiques Made In Japan de DEEP PURPLE, Alive ! de KISS, Live And Dangerous de THIN LIZZY, On Your Feet Or On Your Knees de BLUE ÖYSTER CULT, Double Live Gonzo ! de Ted NUGENT, Comes Alive de Peter FRAMPTON, If You Want Blood, You’ve Got It d’AC/DC et tant d’autres.

Seulement, pour une bonne part d’entre eux, ces albums s’avèrent plus ou moins des reconstitutions en studio de prestations scéniques. Dans le cas du Strangers In The Night d’UFO, il paraît inéluctable que du tripatouillage en studio ait eu lieu, afin de rendre compte de manière quasi-parfaite des prestations en public de la troupe. Avec quelques conséquences fâcheuses. Déjà libéré de ses engagements avec UFO, Michael SCHENKER critique à l’époque la qualité des solos finalement retenus, la décision finale lui ayant été refusée, au profit du producteur difficile et pointilleux Ron NEVISON. Mais, dans le cadre d’une réédition copieuse, Chrysalis propose un regard inédit sur la tournée qui aboutit à Strangers In The Night.

Regard inédit qui se concrétise par un coffret en carton dur, comprenant l’album originel : soit treize morceaux tirés des concerts de Chicago et de Louisville, répartis sur deux cds, parfaitement calibrés et affûtés pour percuter, tout en préservant un potentiel mélodique très prégnant. Auquel il faut ajouter la copieuse addition de six CD, correspondant à six concerts américains de la tournée consécutive à l’album Obsession (1978), alors même que le franc succès s’était manifesté dès l’année suivante avec le fantastique Lights Out (1977 donc). Certes, il est possible de se contenter du mythique double album originel…mais la qualité et la variété des concerts supplémentaires – inédits en l’état – justifient pleinement ce coffret. En effet, les six concerts américains additionnels proposés ici (Chicago et Louisville en intégralité, Kenosha, Youngstown, Cleveland, Columbus) restituent intacte l’intensité des prestations de ce qui est considéré, à juste titre, comme la formation classique d’UFO, à savoir : Phil MOGG (chant), Michael SCHENKER (guitare solo), Pete WAY (basse), Andy PARKER (batterie) et Paul RAYMOND (guitare rythmique et claviers). Certes, sur certaines dates, je note un Phil MOGG à la voix plus éraillée, plus essoufflé qu’à l’accoutumée. Sur une autre, c’est toute l’armature rythmique qui se fait singulièrement lourde. Nous y verrons des variations on ne peut plus prévisibles, marques authentiques d’un groupe certes affûté, néanmoins soumis à un calendrier de tournée extrêmement dense et, par ailleurs, connu pour la propension d’une bonne part de ses membres à user et abuser de l’alcool et des drogues.

Outre cette patine "live" vivifiante (renforcée par un public américain fervent), il faut se rappeler que le double "live" originel ne contenait que treize titres. Or, quatre des six concerts supplémentaires proposés ici comportent quatorze ou quinze morceaux, avec par ailleurs des variations de "set list". C’est ainsi que je peux entendre pas moins de cinq morceaux ne figurant pas sur l’album de 1979 : Cherry, Hot’n’Ready, Ain’t No Baby, Pack It Up (And Go), On With The Action.

Cette somme copieuse représente également un hommage vibrant aux talents des musiciens. Je sais le talent technique de Michael SCHENKER, "guitar hero" par excellence ; je constate ici son aisance et son feeling incroyables. Tour à tour actif à la guitare rythmique et aux claviers, Paul RAYMOND s’impose comme un réel complément au flamboyant soliste. Autre facteur essentiel dans l’animation rythmique, les lignes de basse agiles et tendues de l’intenable Pete WAY ! Pour tenir la baraque, rien de tel qu’un batteur puissant comme le fut Andy PARKER. Trônant sur cette instrumentation à la fois acérée, impactante et subtile, le chant de Phil MOGG diffère fondamentalement des hurleurs du Hard Rock des 70’s. Son registre médium et son timbre un brin voilé valent surtout pour ses intonations expressives, capables d’exprimer tour à tour douceur romantique, passion fougueuse, nervosité canaille.

Au même titre que THIN LIZZY, UFO s’est employé au fil des années 70 à imposer un Hard Rock certes tranchant, parfois virulent, mais toujours incroyablement mélodique, refusant la lourdeur et le pilonnage rythmique systématique. Je peux admettre que les albums studios peuvent paraître quelque peu datés pour les oreilles des jeunes générations, habituées à des sons plus impérieux, plus imposants. Avec ce témoignage scénique, les vétérans vibreront à nouveau et les plus jeunes toucheront du doigt la classe et la virulence d’un groupe au meilleur de sa forme.

Ultime critère en faveur de l’acquisition de ce coffret, la présence d’un livret comprenant un texte mêlant contextualisation et extraits d’interviews des membres du groupe. Livret par ailleurs richement illustré, avec notamment la reproduction d’une incongruité, à savoir la reproduction d’un trois titres dont la photographie prise sur scène montre Paul CHAPMAN à la guitare, successeur de Michael SCHENKER au moment de la sortie de Strangers In The Night.

Vous l’aurez compris, ce coffret s’adresse avant tout aux fans maniaques de UFO mais représente aussi un état de l’art d’une certaine conception du Hard Rock à la fin des années 70, laquelle allait inspirer au début de la décennie suivante des groupes de la New Wave of British Heavy Metal comme TYGERS OF PAN TANG ou DIAMOND HEAD.

Par ailleurs, comment ne pas penser avec émotion aux défunts Pete WAY et Paul RAYMOND à qui je dédie cette chronique.

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Alain
Date de publication : lundi 7 décembre 2020