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06/05/2022
Thorns
TONY MARTIN
 
L’épine. Un concept qui peut revêtir une infinité de symboliques. Bibliquement, elle représente la féminité de la Genèse, celle qui ne se laissait pas aisément dompter, telle une forêt vierge, celle de l’Eden des origines. Toujours aussi religieusement, Moïse vit Dieu lui apparaître sous la forme d’un buisson ardent qui ne fût autre qu’un mûrier sauvage. Du côté de Nazareth, trois arbres servirent à confectionner la couronne de Jésus lors de sa malheureuse crucifixion : le prunellier, le nerprun et l’acacia. Tous étant dotés de cette piquante extension. Cette coiffe étant sensée symboliser à la fois le caractère royal du Messie ainsi que la vie éternelle liée à l’acronyme INRI, signifiant successivement Igne Natura Renovature Integra (A travers le feu, la Nature renaît) ou Ignem Natura Regerando Integrat (La Nature se régénère intégralement) et, plus vraisemblablement, Iesus Nazareus Rex Iudareum (Jésus de Nazareth, Roi des Juifs). Pour l’Islam, l’appendice végétal témoigne plutôt de la douleur et des difficultés rencontrées. D’où la métaphore de l’épine dans le pied qui ne permet pas de cheminer paisiblement sur la voie de sa destinée. En suivant cette logique corporelle, le membre pédestre peut aussi souffrir de ce qu’on appelle vulgairement dans le jargon médical l’épine de Lenoir, une excroissance de tissu osseux sur le talon antérieur (calcanéum) qui handicape énormément les personnes qui en souffrent, puisqu’elles ne peuvent marcher normalement. Rien à voir, cependant, avec le mythologique Talon d’Achille. Par extension, les épines peuvent dépeindre tous les écueils qui freinent l’Humanité sur sa route vers l’évolution pure et parfaite.

C’est, d’ailleurs, cette thématique qui a inspiré l’immense Tony MARTIN (ex-BLACK SABBATH) dans la réalisation de son troisième album solo en plus de 30 ans. Cet homme humble et passionné a passé toute son existence à servir la musique. Un art qu’il maîtrise à merveille, malgré les bâtons dans les roues auxquels il a dû faire face à de trop nombreuses reprises tout au long de sa carrière, notamment au sein du légendaire -BLACK SABBATH. Ce chanteur hors pair, qui a prêté sa voix à divers projets (EMPIRE, GIUNTINI, THE ALLIANCE) ou groupes variés (CANDLEMASS, COZY POWELL’S HAMMER, BLUE MURDER) par le passé, voire plus récemment avec RONDINELLI, SILVER HORSES et THE CAGE, nous revient aujourd’hui avec son dernier bébé, sobrement intitulé Thorns.

Après deux premiers LP relativement bien accueilli, le hard FM Back To Where I Belong en 1992 et l’hybride Scream en 2005, Thorns semble bien plus obscur, reflet du monde actuel et des tourments qu’il subit en permanence. C’est ainsi que, pour immortaliser cette situation sur CD, Tony MARTIN s’est entouré de musiciens de renom évoluant déjà dans le heavy ou le power metal. Certains artistes portant la croix du terrible héritage de leur passé n’arrivent pas à dépasser le stade du ressassement en réitérant sempiternellement les mêmes exercices de style jusqu’à s’en lasser eux-mêmes. Tony MARTIN est d’un tout autre acabit. Foncièrement éclectique, le chanteur n’a jamais hésité à se lancer des défis de taille. -BLACK SABBATH en était un. Reprendre le poste laissé vacant par Ronnie James DIO et relever le niveau après les catastrophiques Born Again et Seventh Star, respectivement interprétés par Ian GILLAN et Glenn HUGHES qui ne furent pas dans leur élément, n’était pas chose facile. Mais, Tony s’en est magistralement sorti sur The Eternal Idol et Headless Cross, aussi bons que Heaven And Hell et Mob Rules. Sans oublier l’excellent Tyr. Quelques dissensions entre les membres ayant fini par ternir le tableau, Tony MARTIN décida de se défaire des pressions de l’industrie musicale et d’entreprendre un saut de l’ange libérateur. Au moment où -BLACK SABBATH distribua son troisième opus avec Ronnie James DIO et Vinny APPICE, le musclé Dehumanizer (préfigurant le futur The Devil You Know du quatuor international renommé pour l’occasion HEAVEN & HELL entre 2007 jusqu’à la disparition inattendue de Ronnie en 2010, victime d’un cancer de l’estomac) en 1992, simultanément Tony MARTIN mit sur le marché sa première galette en solitaire, le très mélodique Back To Where I Belong, une œuvre proche des influences de l’anglais, moins agressives que celle du guitariste et bassiste natifs de Birmingham qui étaient ses anciens futurs collègues, ainsi que l’unique rondelle de son frère de sang le batteur COZY POWELL la même année.

Fier de cette pièce maîtresse dans sa discographie, Tony fit à nouveau escale au sein du SABBAT NOIR pour deux albums supplémentaires, les intéressants Cross Purposes et Forbidden, qui eurent beaucoup moins de succès que les monumentaux The Eternal Idol et Headless Cross. Ce sont la réunion avec Ozzy OSBOURNE et le décès prématuré de Cozy POWELL en 1998 qui mirent définitivement un terme à sa collaboration avec les créateurs du heavy metal. Loin de se prendre la tête avec cette séparation de corps, Tony MARTIN rebondit prestement en intégrant d’autres troupes telles que THE CAGE en 1998, GIUNTINI en 1999, RONDINELLI en 2002, EMPIRE en 2003, avant d’écrire un second tome de son aventure, le heavy Scream.

Continuant ses pérégrinations d’homme qui ne se laisse pas abattre par la fatalité, Tony enchaîne les participations à droite à gauche, jusqu’à imaginer la naissance d’un troisième nourrisson dans son répertoire quelque peu épars. C’est ainsi qu’en 2019, cette envie entêtante lui revint à nouveau. Souhaitant s’entourer d’un équipage solide pour mener le gréement à bon port malgré les eaux tumultueuses de la pandémie, Tony opta pour des marins confirmés. C’est ainsi que furent recrutés les guitaristes Scott MCCLELLAN (ARMY OF SOULS, BROTHERHOOD OF SPINE, CEMETERY GATEZ, ex-DEVIL LAND) et Dario MOLLO (DARIO MOLLO’S, CROSSBONES, THE CAGE, VOODOO HILL, Don AIREY, ex-THE HADES BAND), le bassiste Magnus ROSEN (PLANET ALLIANCE, X-WORLD5, SHADOWSIDE, BLECKHORN, ex-HAMMERFALL, ex-AVALANCH, ex-FULLFORCE, ex-JORN, ex-REVOLUTION RENAISSANCE), le batteur Danny NEEDHAM (VENOM, ex-POWERPLAY, ex-BAILEYS COMET, ex-GUNS ‘N’ OATCAKES).

Résultat des courses, une troisième offrande digne d’intérêt. Outre la bizarrerie de l’agencement abécédaire des pistes, une variation des atmosphères. Tantôt belliqueux, tantôt plus doux, Thorns brille par sa versatilité et sa créativité. Loin de reprendre les ingrédients des albums de BLACK SABBATH qui ont fait sa renommée ou de recopier les éléments de sa période EMPIRE, Tony MARTIN mise énormément sur la modernité plutôt que de loucher sur le passé, même s’il est évident que certaines comparaisons ne puissent être éludées. A l’instar de la chanson d’ouverture, la méphistophélique As The World Burns, premier single du disque, qui se rapproche quand même de ses enregistrements les plus heavy avec la Tony IOMMI Company. Comment ne pas se dire qu’il y a du Cross Purposes là-dedans ? Que ce soit la lourdeur de la basse ou l’ambiance malsaine qui s’en dégage, As The World Burns possède un brin de I Witness pour le tempo enlevé ou Psychophobia pour la facette un peu barrée, le tout recouvert d’une production en béton armé signée par Pete NEWDECK, côté mixage, et Harry HESS, sur le plan du mastering. Toutefois, As The World Burns est de la dynamite en barre qui explose à la figure dès son entame. Tandis que les rondelles de SABBATH furent plus progressives dans leur approche. La voix de Tony MARTIN a conservé son grain typique et le chanteur n’a absolument rien perdu de sa superbe. Les gratteux Scott MCCLELLAN et Dario MOLLO n’y vont pas de main morte, apportant une véritable dynamique à cette compo rentre-dedans à coups de riffs costauds, soulignés par une section rythmique du tonnerre par le doublé Magnus ROSEN-Danny NEEDHAM. Cet ensemble phonique pète du feu de Dieu. Et là, il est normal que l’on se dise que Thorns va être une boucherie dans le sens positif du terme, bien sûr. D’autant que le passage calme vers la fin du morceau, qui remplace les soli que l’on retrouve habituellement à ce moment précis, donne littéralement le frisson, tellement l’on se croirait propulséE trois ou quatre décennies en arrière à l’époque des sérénissimes Children Of The Sea et Cross Of Thorns.

Après cette première déflagration nucléaire, Thorns continue d’étonner par son esprit guerrier et lunatique. Filant du « mauvais » coton, ce microsillon donne tantôt dans le doom (Black Widow Angel, Nowhere To Fly), tantôt dans le heavy (Book Of Shadows, Damned By You, Run Like The Devil, Thorns), parfois dans l’acoustique (Crying Wolf, This Is Your Damnation), ponctuellement dans le hard couillu (No Shame, Passion Killer). Avec, cependant, quelques fluctuations qui lorgnent vers l’americana (This Is Your Damnation) ou le rock (Crying Wolf), le folk avec la ligne de violon interprétée par Tony MARTIN himself (Damned By You) qui, très curieusement, rappelle le groupe THE SINS OF THY BELOVED et son superbe The Flame Of Wrath, le sludge et le stoner (Black Widow Angel, No Shame), le prog (le clavier sur Book Of Shadows puis le final à la Infinite Entanglement de Blaze BAYLEY, joliment narré par la voix agréable de Laura HARFORD), le groove (Passion Killer), le funk (le slapping à la basse sur l’avant dernier passage de Black Widow Angel).

Thorns, malgré sa figuration infernale, également amenée par le clip diabolique de As The World Burns, est, finalement, une rondelle stylistiquement assez large pour satisfaire une large frange de metalheads. Elle est à l’image de son leader, Tony MARTIN, qui ne peut s’empêcher de toucher à tous les genres musicaux. Et d’être un excellent multi-instrumentiste. Comme vous pourrez le remarquer sur Thorns, outre le chant, Tony s’amuse également à coller quelques riffs de guitare ci et là, à frotter langoureusement son archer et à taper le bœuf en grattant sa basse. Cédant quand même sa place à ses collègues Scott MCCLELLAN, Dario MOLLO et Magnus ROSEN tout au long des cinquante minutes que dure ce magnifique album. Pour parfaire le tout, quatre guests viennent renforcer la talentueuse équipe, à savoir le six-cordiste Joe HARFORD, le bassiste Greg SMITH, le pianoteur Bruno SA et l’inimitable Pamela MOORE, qui vient apposer sa voix suave sur l’éponyme lanterne rouge.

Globalement, Thorns nous renvoie à plein de différents moments de la carrière de Tony MARTIN, principalement sur les époques les plus dures musicalement parlant. C’est ainsi, comme écrit plus haut, que l’on ressent avant tout les influences de Headless Cross et Cross Purposes. Avec quelque emprunts plutôt discrets à la période DIO, que Tony respecte, Heaven And Hell en pole position, voire The Devil You Know, certaines ritournelles ayant pu parfaitement se caser entre Atom And Evil et Fear de HEAVEN & HELL. Toutefois, les goûts de Tony MARTIN pour le hard à l’américaine se font également sentir, d’où les clins d’œil momentanés à l’americana, au blues, au sludge/stoner et au funk, composantes quasiment essentielles du rock US, d’où le vocaliste puise ses racines. Conséquemment, il n’est pas étonnant de trouver ces briques dans la maçonnerie sonique du britannique, tant sur Back To Where I Belong que sur ce Thorns caméléon, bercé par l’étrangeté, notamment par cette absence presque totale des soli de guitares, qui pointent uniquement leur nez sur As The World Burns, Crying Wolf, Damned By You et Run Like The Devil, soit quatre titres sur onze, ce qui est complètement inhabituel sur un album estampillé « heavy metal » !!! Le reste du temps, les duels de six-cordes étant remplacés par des lignes de clavier, des démonstrations de basse, des passages aériens ou psychédéliques. D’aucun qualifierait cet opus de schizophrénique, tant il y a de variations dans les climats qui nous sont offerts ici. Ou, en tous cas, de bipolaire vu l’inconstance des environnements dans lesquels les cinq musiciens et les invités évoluent sur Thorns. Ce qui, et j’en reviens à mon prologue, convient idéalement quand on aborde objectivement le monde qui nous entoure ainsi que les défis auxquels il doit faire face, allégoriquement les épines du patronyme de ce disque survitaminé et chromatiquement intéressant. Notamment du point de vue des couleurs utilisées pour la couverture (réalisée par Mattias Savage WILMENIUS, le livret par Peter KOTEVSKI, photographies par Tallee SAVAGE), le vert représentant simultanément la Nature, la famille (puisqu’elle est souvent représentée par une forêt), la croissance ainsi que l’exubérance (Thorns n’en manque absolument pas), le renouveau (la renaissance musicale de Tony MARTIN). Négativement, cette teinte dépeint le matérialisme, l’indifférence, l’envie, la sournoiserie, la traîtrise, l’acrimonie, tous les maux dont semblent souffrir notre civilisation humaine. Qui sont, là encore, comme des épines freinant la société de son but premier, l’Illumination spirituelle. Tout comme le furent (et le sont encore aujourd’hui) le coronavirus et sa gestion foireuse, l’appauvrissement incessant des populations, l’enrichissement indécent des élites ainsi que, depuis février, la mise en place graduelle d’un probable conflit à l’échelle mondiale par les deux blocs qui nous cassent littéralement les pieds depuis les années 50. Ainsi, Thorns est le miroitement de ces situations de crise perpétuelle qui menacent l’intégrité des masses. Fort heureusement, l’espoir d’une amélioration est permis, étant donné que le vert du flot d’énergie qui se dégage de la main de Tony MARTIN tire allègrement sur le bleu, représentation de l’enfance, de l’insouciance, de la sérénité. Sur la pochette, on distingue clairement cette coloration « canard », mélange le plus équilibré entre le vert et le bleu primaires. Assez sombre de prime abord, cette carnation est plutôt positive car elle contrebalance efficacement la dualité des réalités qui s’affrontent, tant artistiquement dans le metal de Tony MARTIN que sur Terre. Nonobstant le fait que Tony nous tende la main comme pour nous inviter à rejoindre l’épineuse voie qu’il nous propose sur Thorns, celle qui nous permettra de vivre une expérience hors du commun et de renaître à la fois spirituellement et musicalement, de sortir hors des sentiers battus. Tel un tentateur biface dont on ne connaît ni les ambitions, ni la destination. Puisqu’il surgit du néant (le fond noir) et qu’il peut, in fine, nous entraîner dans un gouffre sans fond, dans l’inconnu. Ou nous permettre de traverser les ténèbres tel un guide qui nous mènerait vers la Lumière. Voilà l’apprentissage dont nous gratifie Tony MARTIN sur son troisième disque, encore très personnel. L’inattendu est au coin de la rue. Avec son passif, il lui été très aisé de créer un chef d’œuvre qui, très habilement, nous fait voyager tant temporellement que géographiquement, tout en restant ancré dans son époque, grâce, entre autres choses, à une production claire qui met en exergue toute l’ingéniosité dont il a fait preuve ici, ainsi que le savoir-faire de ses hommes de main, judicieusement sélectionnés. Thorns est, en quelque sorte, un voyage initiatique qui nous défera de nos habitudes. Un changement dans la continuité. Une pièce maîtresse dans la discographie allongée du Sieur MARTIN. Asseyez-vous, bouclez vos ceintures et laissez vos sens vivre cette incroyable odyssée.




Line-up :

Tony MARTIN (chant, guitares, basse, violon)
Scott MCCLELLAN (guitares)
Dario MOLLO (guitares)
Magnus ROSEN (basse)
Danny NEEDHAM (batterie)


Equipe technique :

Tony MARTIN (production, design, typographie)
Pete NEWDECK (production, mixage)
Harry HESS (mastering)
Mattias Savage WILMENIUS (artwork, graphisme)
Peter KOTEVSKI (design pochette)
Tallee SAVAGE (photographie)


Guests :

Pamela MOORE (chant sur « Thorns »)
Laura HARFORD (narration)
Joe HARFORD (guitares)
Greg SMITH (basse)
Bruno SA (claviers)


Crédits :

Tony MARTIN (paroles, musique)
Scott MCCLELLAN (musique)


Tracklist :

1) As The World Burns
2) Black Widow Angel
3) Book Of Shadows
4) Crying Wolf
5) Damned By You
6) No Shame
7) Nowhere To Fly
8) Passion Killer
9) Run Like The Devil
10) This Is Your Damnation
11) Thorns

Durée totale : 50 minutes environs


Discographie non-exhaustive :

Back Where I Belong (1992)
Scream (2005)
Thorns (2022)


Date de sortie :

Vendredi 14 Janvier 2022



As The World Burns (Vidéo Officielle)
神の知恵
Date de publication : vendredi 6 mai 2022