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Au-delà des styles, une pure maestria sensorielle
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Lorsqu’il y a plus de dix ans maintenant, le chanteur, guitariste et compositeur Mark NORGATE se lança dans l’aventure DAWNWALKER, nul doute qu’il n’avait pas l’intention de jouer petit bras ! Entouré par un collectif multiple, inspiré, investi et talentueux, notre homme a d’ores et déjà sorti quatre albums fort copieux : XIII, confidentiellement paru en 2012, In Rooms en 2016, Human Ruins en 2018, Ages en 2020 (chroniqué ici : cliquez ici). Ce à quoi il faut ajouter trois EP fort généreux, et donc ce cinquième album, House Of Sand, qui s’avère aussi impressionnant, foisonnant, vibrant, ambitieux, complexe et réussi que son prédécesseur. Prétendre résumer exhaustivement un album aussi riche relève de la gageure ultime. Au moins dans les grandes lignes, assurons que l’album s’impose comme à la fois incroyablement diversifié quant à ses éléments constitutifs – que ce soit en termes de composition, d’interprétation et de mise en son – et parfaitement cohérent dans sa globalité.
En tout premier lieu, je souhaiterais louanger DAWNWALKER pour la qualité et l’étrangeté de ses visuels de pochettes qui, sans avoir jamais recours aux clichés ésotérico-mystiques propres aux univers du Metal, véhiculent toujours un sentiment d’étrangeté, de menace diffuse. Systématiquement, les éléments naturels occupent une place principale ou faussement secondaire dans cet univers visuel. Des rivages ? Revenez à XIII avec sa grève et ses habitations, le tout plongé dans la brume (la présence d’une silhouette solitaire, sombre, vue de dos, n’apportant aucun réel réconfort… au contraire). Ainsi qu’au paysage sablonneux désolé du EP éponyme de 2014 (à moins qu’il ne s’agisse d’un trompeux décor volcanique !), et à l’étrange cérémonie que semblent préparer des silhouettes vêtues de blanc, réunies sur une plage fermement enserrée par une crique rocheuse, saisie en plongée. Jeux de lumières mystérieux sur le EP Mandala de 2015. Dessin d’une chouette perchée sur un croissant de Lune faisant office de branche pour In Rooms. Paysage de lande rocheuse et verdoyante (on songe à l’Ecosse et à ses Highlands) pour Human Ruins. Plantes en pleine floraison blanchâtre, au pied d’une pierre levée, pour le EP Crestfallen de 2020. A chaque fois, il y a à l’œuvre des éléments esthétiquement attirants, quoique jamais gages de sérénité. On franchit un cap supplémentaire, plus nuancé et complexe, avec la peinture signée par Mitchell NOLTE pour illustrer House Of Sand. Soit une belle maison campagnarde traditionnelle, avec ses solides murs en briques rouges, son toit de tuiles également rouges. Et puis cette nature qu’on devine proliférante, entre haies touffues, grands arbres dans le fond et plantes grimpantes sur la façade. Pour demeurer du côté de la nature, le ciel encombré de nuages ne semble pouvoir concéder qu’une pâle lumière oblique. Et puis, il y a, au premier plan à gauche, la famille : le mari, la femme, leurs fils et fille, ainsi que le chien. Pris séparément et dans leur ensemble, tous ces éléments devraient former une scène pastorale, à la saveur douceâtre et à la quiétude bourgeoise. Au lieu de quoi, nous observons des silhouettes endimanchées, comme écrasées par le décor (autant la maison que l’écrin naturel) ; les traits des membres de la famille sont indistincts mais, en sus d’une mise vestimentaire austère, semblent exclure l’idée même de penser à la joie de vivre. Et puis, seul élément qui ne se présente pas frontalement et facialement pour l’auditeur-spectateur, le chien semble tout entier tendu à déceler, la queue basse, quelque chose qui arrive par la gauche (la sinistra, en italien). Dans cette peinture fort réussie, comme dans d’autres visuels si succinctement décrits ci-avant, on sent toujours une étrangeté à l’œuvre, voire une menace trouble, oeuvrant via la Nature, à l’encontre d’une humanité d’ores et déjà fort peu incarnée, voire fantomatique. Mais qu’est-ce donc qui vient sur notre gauche ? Un quelconque danger susceptible de transformer cette demeure ancestrale en château de sable ?
Pourquoi se livrer à une telle analyse à la hache de visuels, alors que nous sommes sur un site musical ? Avant tout, parce qu’il me semble que DAWNWALKER choisit à dessein ses visuels pour précéder ou augmenter son projet musical. Lequel consiste à convoquer des influences multiples, voire contraires, à refuser de choisir clairement un champ stylistique, bref à troubler l’auditeur, afin de mieux l’entraîner dans une trame narrative et émotionnelle non bridée, peu prédéterminée par des référentiels par trop pesants.
Musicalement parlant, il me semble que l’on peut reprendre le cadre d’analyse des éléments visuels pour établir un cadre similaire. Nous avons reçu le matériel qui permet cette chronique parce que nous sommes identifié.e.s, de par notre nom de site, comme affilié.e.s au Metal. Jusque-là, tout va bien car nous retrouvons dans la musique de DAWNWALKER des éléments typiquement Metal : des riffs âpres, tour à tour tranchants et massifs, des rythmiques frénétiques, des ambiances épiques, des vocaux agressifs et gutturaux… On ne pourra s’empêcher de songer à une similarité avec OPETH et MASTODON dans la démarche extrême et progressive. Jusque-là, tout va bien. Sauf que non, bien sûr que surtout non ! Car ce compost de nature Metal ne présente un quelconque intérêt que quand il entre en confrontation fructueuse avec des apports diversifiés. En la matière, difficile de cartographier de manière systématique et figée une formule. Cela dit, les fréquents changements de tempos, de rythmes, de genres, conduisent inévitablement à convoquer l’appellation progressive, au sens le plus noble et exploratoire du terme.
Au sein d’une composition du groupe, on ne risque pas de s’ennuyer du fait d’une approche rythmique trop linéaire ou d’un dispositif vocal trop uniforme. Histoire de demeurer dans le registre vocal, pas moins de quatre artistes ont contribué à l’alimenter : masculin ou féminin, clair ou lesté d’effets saturés, les différents registres contribuent tout autant à incarner une agressivité, par moments insane et paroxystique, et une émotivité en registre clair… masculine ou féminine.
Une fois que l’on a en quelque sorte légitimé et ancré le versant Metal, nous ne sommes qu’au début de nos efforts et de nos (délicieuses) peines. Pourquoi cette confusion apparente ? En premier lieu parce que le Metal a tendance à penser que l’usage de l’électricité et de la fureur lui sont des apanages exclusifs. Âneries que ceci, bien évidemment, pour quiconque fait l’effort objectif de se remémorer les apports en la matière d’un pendant du Rock psychédélique, puis du Rock progressif (quels accès de fureurs intenses chez YES, ELP ou VAN DER GRAAF GENERATOR !!!). Quand les moments les plus paisibles et mélodiques entrent en contact avec des plages plus électriques et directes, sans être Metal, on songe aussi à MUSE et à BIFFY CLYRO, ce qui n’a rien de déshonorant.
Enjambons la vague salvatrice du Punk pour aboutir directement à ses développements Post Punk, puis Noisy Rock. En effet, il me semble qu’au hasard des séquences, DAWNWALKER laisse échapper des références du type MY BLOODY VALENTINE, voire THE JESUS AND MARY CHAIN pour la combinaison de chants clairs (tant masculins que féminins) dans un contexte raisonnablement bruitiste. Encore plus vertigineux, la réappropriation de toutes les roides radicalités consécutives à des vagues déjà essentiellement radicales (Post Punk, Post Rock, Post Hardcore, Post Metal) se retrouvent peu ou prou dans la formule gargantuesque de DAWNWALKER.
A ce stade, une précision s’impose. Toutes les influences citées ci-avant (et toutes les autres que je n’ai pas forcément identifiées !) peuvent donner l’impression que DAWNWALKER forme un vaste carrousel ou un kaléidoscope. Pourtant, à aucun moment, le collectif ne donne l’impression d’être une bête de foire qui jongle avec les références d’autrui. Tant dans l’écriture, dans l’interprétation et dans les arrangements, on sent qu’une personnalité forte unifie toutes ces sources si diverses, et ce afin d’aboutir à un nouvel album ambitieux, généreux, aventureux et foncièrement réussi. Quel groupe, quel album !
Vidéo de Coming Forth By Day cliquez ici et making of cliquez ici.
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