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Doom death gothique fort classique
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En 2015, une chanteuse et un batteur grecs s’acoquinèrent avec un chanteur et deux guitaristes finlandais pour fonder AEONIAN SORROW, et ce afin de pratiquer un Doom Death Metal gothique. En 2018, un premier album, joyeusement intitulé Into The Eternity A Moment We Are, suivi début 2020 par le EP quatre titres A Life Without. Aujourd’hui paraît enfin un copieux second album, plus sobrement baptisé Katara (soit κατάρα en grec, terme présent dans la Bible, que l’on peut traduire par malédiction… encore et toujours cette conception légère et optimiste de l’existence !).
Outre une vision négative et déprimante – et peut-être dépressive, qui sait ? – de notre passage sur cette planète plus si bleue, AEONIAN SORROW demeure fidèle à son goût et à sa pratique d’un Doom Death à tendances gothiques, tel qu’il fut défini dans les années 90, avant d’être affiné et diversifié au début du siècle suivant. Soit des compositions assez longues – entre plus de six et plus de neuf minutes -, formats conséquents qui permettent de développer dans la longueur des tempos invariablement lents, créant une sensation globale d’écrasement, de fatalité et de langueur morbide. Cela dit, n’allez pas imaginez que le groupe binational verse dans le Doom Death extrême, car tout ici demeure très clair, polissé, parfois presque policé. A la base, les riffs se veulent massifs et grondants, mais ils n’adoptent jamais ces tournures âpres et rugueuses qu’affectionnent le Doom Death, pas plus qu’on se trouve confronté à un mur du son gigantesque comme dans le Funeral Doom. D’ailleurs, pour en rester dans le domaine des guitares, celles-ci versent plus que fréquemment dans un son clair, pourvoyeur de notes limpides et mélancoliques. Ce versant instrumental mélodique se trouve amplement conforté par des arrangements de synthés (plages atmosphériques ou sonorités de piano), assez présentes dans le mixage.
Bien plus que ce substrat instrumental, certes conforme aux normes en vigueur dans le (sous) sous-genre, c’est bel et bien le versant vocal qui scelle le destin de l’album. Le chant se trouve majoritairement assumé par Gogo MELONE, dont le registre médium, sans aspérité, mais riche en variations languides, assure pour une part essentielle l’ambiance gothique de l’album, avec ce côté sylphide, se vidant peu à peu de ses forces (de son sang, suite à des ponctions nocturnes subies ?). Inévitablement, un mâle, Joel NOTKONEN se devait d’introduire, sans finesse aucune, des vocaux gutturaux, caverneux et hostiles. Sur le modèle de la Belle et de la Bête, ce contraste offre aujourd’hui peu de surprise.
D’ailleurs, d’une manière générale, c’est bien le reproche que l’on peut faire à cet album : l’absence de surprise, sauf pour des impétrants, encore vierges et naïfs. Il faut tout de même se souvenir que les premiers pas du Doom Death accueillirent quelques vocaux féminins sur les deux premiers albums de PARADISE LOST (au tout début des années 90) et les premières œuvres de MY DYING BRIDE. Après que des formations comme CREMATORY eurent repris et systématisé le contraste ombre/lumière, tant instrumental que vocal, celui-ci est de fait devenu une figure obligée, bref une tarte à la crème. Preuve du classicisme ultime de ces franges extrêmes, quoiqu’un brin conservatrices, il ne me semble pas qu’un groupe ait pensé à confier le registre vocal rugueux et agressif à une chanteuse, laissant tout loisir à un chanteur d’assurer des parties plus claires et nuancées. Techniquement parlant, rien de plus imaginable pourtant…
AEONIAN SORROW assume pleinement un classicisme imparable, au détriment de toute innovation. En cela, il ne démérite pas, quitte à prendre le pari d’attirer de nouveaux convertis, plutôt que des vétérans blasés. En matière de Doom Death classique et gothique, je dois bien avouer qu’il n’y eut guère que des groupes de l’acabit de DRACONIAN pour maintenir la passion essentielle de cette portion si spécifique du Doom Death. Manquent ici des compositions davantage marquantes et des interprétations plus passionnées et investies. Paradoxalement, Katara demeure un bel album.
BREAKING NEWS : quelques minutes après la mise en ligne de la chronique, un membre du groupe m'informa que les vocaux étaient partagés entre le chanteur et la chanteuse, qu'il soient gutturaux ou pas. Dont acte ! Au temps pour le vétéran qui croit tout discerner... la vieillesse est un naufrage et AEONIAN SORROW a encore tout le temps devant soi. Je suis échec et mat. Rendez-vous au cimetière.
Vidéos de Katara (single, cliquez ici) et de l’album (cliquez ici)
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