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Chronique
BLACK SABBATH - Anno domini

Style : Heavy Metal
Support :  CD - Année : 2024
Provenance du disque : Acheté
40titre(s)

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 (17/20)

Auteur : Alain
Date de publication : 09/06/2024
Rééditions en coffret de pans manquants
Le légendaire guitariste de BLACK SABBATH, Tony IOMMI, le confesse bien volontiers : il n’a quasiment aucun contrôle sur les rééditions réalisées par les maisons de disques successives du groupe, différentes aux Etats-Unis et en Europe. Les rééditions dites deluxe, en format double CD digipack (remasterisées et augmentées) de tous les albums du groupe jusqu’à Eternal Idol, permettaient une approche approfondie, enrichie et surtout systématique de la discographie, toutes époques confondues. Par contre, les luxueux (et onéreux) coffrets super deluxe ne semblent suivre aucune logique chronologique, les essentiels Black Sabbath, Master Of Reality et Sabbath Bloody Sabbath attendant leur tour, alors que les plus dispensables Technical Ecstasy et Live Evil ont été copieusement réhabilités. Allez comprendre…

Une chose est certaine, les quatre albums studio que BLACK SABBATH avait enregistré pour le compte du label IRS, entre 1989 et 1995, n’avaient pas connu un quelconque traitement de faveur. C’est ce vide que se propose de combler le coffret de quatre CD Anno Domini, lequel correspond plus directement à la volonté de Tony IOMMI. Dans un coffret en carton rigide, on trouve donc trois albums remasterisés : Headless Cross (89), Tyr (90), Cross Purposes (94). Plus une version carrément remixée par le maître et l’ingénieur du son Mike EXETER du controversé Forbidden (95).

En 1989, l’institution du Heavy Metal britannique BLACK SABBATH affichait un air franchement délabré, avec une réputation totalement discréditée. Les premières années des 80’s permirent au groupe de redonner son blason avec l’arrivée au micro du magicien Ronnie James DIO, par le truchement des albums essentiels Heaven And Hell (80) et Mob Rules (81), conclu par le premier double album live, Live Evil (82). Puis survint l’étrange attelage avec Ian GILLAN, ancien chanteur de DEEP PURPLE, le temps de l’album Born Again (83) et de la tournée attenante, avant que celui-ci ne rejoigne la reformation de son groupe originel.
Conscient qu’il fallait laisser reposer le mythe BLACK SABBATH, Tony IOMMI se lança dans la réalisation de son premier album solo, Seventh Star (86). Plus axé sur le Hard Rock, chanté par Glenn HUGUES (ex-bassiste et chanteur de DEEP PURPLE, décidément !), le disque parut, selon la volonté impérative de la maison de disques, sous l’appellation fallacieuse BLACK SABBATH featuring Tony IOMMI. Gros coup dur pour la crédibilité !

Sous la bannière assumée de BLACK SABBATH, parut en 87 l’album Eternal Idol. Pas franchement mauvais, mais franchement dépassé par les évolutions du Hard et du Heavy Metal à l’époque. Qui plus est, originellement enregistré avec le chanteur américain Ray GILLEN (futur BADLANDS, décédé en 93), il fut finalement réenregistré par le Britannique Tony MARTIN, preuve de la fragilité congénitale de la formation.

Tout ce contexte ayant été replacé, dire qu’en 1989 quiconque attend avec impatience quoi que ce soit paraissant sous le nom de BLACK SABBATH serait particulièrement mensonger. Pourtant, Tony IOMMI va confirmer Tony MARTIN au chant et embaucher le légendaire batteur Cozy POWELL (RAINBOW, MSG), qui fera office de second maître à bord. L’ex QUARTZ Geoff NICHOLLS demeure présent aux claviers, comme il le fut durant la première période DIO. A la basse, le bassiste Laurence COTTLE assure la tâche, tout en ne souhaitant pas participer plus avant en dehors du studio. Il sera avantageusement remplacé par le bassiste écossais Neil MURRAY (HANSON, COLOSSEUM II, NATIONAL HEALTH, WHITESNAKE, Gary MOORE, PHENOMENA, VOW WOW, Brian MAY, Peter GREEN, COMPANY OF SNAKES, et on en passe). Optant pour des compositions de pur Heavy Metal, lourd, voire épique, l’album Headless Cross fait figure de résurgence bienvenue. Certes, on peut critiquer la pesanteur caricaturale du visuel et des paroles, mais, enfin, BLACK SABBATH délivrait un album dans la lignée des deux opus fondamentaux gravés avec Ronnie James DIO. Au passage, on pouvait à la fois louer la puissance, la clarté et l’expressivité du chanteur Tony MARTIN, tout en l’assimilant à un clone de Ronnie James DIO. Le fait est que l’album reçut de bonnes critiques et connut des ventes estimables en Europe, sans pour autant s’imposer aux Etats-Unis. Pour ma part, je persiste dans mon impression d’origine : de fortes compositions, une interprétation engagée, une production puissante, mais une certaine outrance à la limite de l’auto-caricature.

Revigoré par le succès avéré localement de Headless Cross, Tony IOMMI confirma la formation de tournée pour aboutir à la conception de Tyr. Conceptuellement décalé de l’occultisme outrancier de son prédécesseur, l’album s’annonçait sous les atours visuels et paroliers (pour seulement trois titres) de la mythologie nordique. Surtout, l’ensemble combine avec bonheur un sens de l’épique et des arrangements (claviers, chœurs et harmonies vocales) qui propulse l’auditeur dans une dimension supérieure. Injustement calé derrière Headless Cross, Tyr mérite une réévaluation positive certaine.

Hélas, la belle dynamique de la formation comprenant Tony MARTIN au chant, Cozy POWELL à la batterie et Neil MURRAY à la basse se brise sur la reformation d’une mouture de BLACK SABBATH avec Ronnie James DIO au chant et, accessoirement, Vinnie APPICE à la batterie, laquelle devrait livrer un Dehumanizer manquant de finesse et d’inspiration. Une tournée et une fâcherie autour d’un concert à donner en ouverture d’Ozzy OSBOURNE - que DIO refusa assez logiquement - et voilà Tony IOMMI revenu à un BLACK SABBATH réduit à sa simple personne.

Sûrement dépité mais déterminé à poursuivre l’aventure avec ce qui est devenu son groupe, le guitariste moustachu rappelle sans vergogne aucune Tony MARTIN, qui, toute rancœur mise au rencart, accepte de revenir. Il faut dire que IOMMI ne revint pas bredouille de la période Dehumanizer, puisqu’il a renoué avec le bassiste légendaire (et parolier des années 70, rendons-lui cette justice) Geezer BUTLER ! Impossible d’avoir Bill WARD ou Vinnie APPICE à la batterie ? IOMMI opte pour un batteur aguerri, au jeu puissant, pas si éloigné de celui d’un Cozy POWELL, de toute façon hors-jeu du fait d’un accident de moto. Son nom ? Bobby RONDINELLI, celui-là même qui succéda à Cozy POWELL au sein de RAINBOW (albums Difficult To Cure et Straight Between The Eyes) ! Et toujours le fidèle Geoff NICHOLLS aux claviers. Après l’embellie relative du tandem Headless Cross et Tyr, le foirage du retour de DIO, la réputation de BLACK SABBATH se trouva franchement en lambeaux. Ce qui explique que l’album qui résulta de cette énième formule du groupe n’obtint jamais un succès critique et commercial en rapport avec ses qualités intrinsèques. Paru en 1994, Cross Purposes mérite pourtant une fervente redécouverte et une réévaluation drastique. Pour une grande partie délesté des références téléphonées au Heavy Metal dans ses atours les plus caricaturaux, l’album propose un Heavy Metal, certes lourd, mais diversifié, toujours racé et, surtout, très bien composé et arrangé. Saluons en outre la qualité de la production de Leif MASES (KAIPA, EUROPE, Jeff BECK, Ian GILLAN, LILLIAN AXE). C’est bien simple, la mobilisation générale permet la convergences des talents, les atours lourds et épiques du BLACK SABBATH époque DIO (et MARTIN via Headless Cross et Tyr) se trouvent ici rehaussés par un tranchant rythmique et par un impact mélodique qui caractérisent les meilleurs albums des trop méconnus LILLIAN AXE.

Souvenir personnel : la tournée Dehumanizer faisant halte à l’Elysée-Montmartre parisien, j’eu l’opportunité d’une interview au long cours de Geezer BUTLER (avec DIO et IOMMI passant à l’arrière-plan, glups !) et j’assistai à un concert solide mais pas magique. Par contre, dans la même salle, j’assistai à l’étape parisienne consécutive à Cross Purposes et je fus tout simplement soufflé par la cohésion et le souffle du groupe, grandement aidé par un répertoire magique, assumé avec compétence et même classe par Tony MARTIN. Un très très bon souvenir.

Difficile de thésauriser sur les réussites respectives de Headless Cross et Tyr quand on a montré ostensiblement qu’on voulait à toute force renouer avec un passé plus glorieux et plus rémunérateur. Cross Purposes n’ayant pas engrangé les dividendes attendus, management et label pesèrent lourdement pour que BLACK SABBATH se mette au diapason de la reconnaissance unanime émanant de groupes ne se revendiquant pas foncièrement du Heavy Metal. Ainsi, en 1994, paraissait le premier volume d’une compilation dédiée au BLACK SABBATH période Ozzy OSBOURNE (qui devait connaître un second épisode en 2000). S’alignaient des combos comme FAITH NO MORE pour le versant Fusion, Al JOURGENSEN de MINISTRY (sous l’appellation 1000 HOMO DJs, pour le versant Indus), UGLY KID JOE (Hard Rock festif de la côte ouest), BIOHAZARD (Crossover Metal-Hardcore), WHITE ZOMBIE (Metal indus), MEGADETH (Heavy Thrash), THERAPY? (Power Punk, avec Ozzy au chant), SEPULTURA (Death Thrash Metal), CORROSION OF CONFORMITY (Sludge Metal avant l’heure), TYPE O NEGATIVE (Doom gothique)… Hormis les cautions purement Metal – portions congrues ! – comme Ozzy, Bruce DICKINSON (avec le groupe GODSPEED) et les BULLRING BRUMMIES, éphémère appellation de circonstance, abritant notamment Rob HALFORD et Geezer BUTLER, on devait se tourner vers d’autres hommages plus strictement Metal pour évaluer l’importance des différentes versions de BLACK SABBATH.

Faisant foin de la nécessité d’enraciner BLACK SABBATH dans le Heavy Metal profond, management et label tentèrent un coup qu’ils crurent gagnant. Non seulement ils invitèrent le rappeur ICE-T sur l’introductif The Illusion Of Power, mais ils imposèrent comme producteur Ernie C., le guitariste du groupe de celui-ci, BODY COUNT ! Outre une pochette jouant avec humour avec les codes du Heavy Metal (amusante, mais largement auto-dépréciatrice), l’album Forbidden (1995) se trouvait desservi par un son trop plat, dépourvu de profondeur et de dynamique : un comble quand on veut émuler les jeunes générations admiratives ! Aujourd’hui, le travail minutieux de Tony IOMMI et de son ingé-son Mike EXETER permet de redonner du mordant aux guitares. Cependant, ce Forbidden remixé sonne encore et pour toujours moins musclé que ses trois prédécesseurs. Moins inspiré également. Non pas qu’il recèle des rogatons, mais on est bien loin de l’ambition d’Ernie C. de retrouver le son originel de BLACK SABBATH ; par ailleurs, on est tout aussi loin d’une mise à niveau du groupe, dans le style et dans le son, par rapport à ses hordes de thuriféraires de l’époque. On se doit de saluer les efforts de Tony IOMMI pour rehausser le niveau de l’album mais, même lui ne semble pas trop y croire, si l’on en croit ses propos dans certaines interviews. Une triste clôture de la présence de Tony MARTIN dans BLACK SABBATH, le chanteur s’étant imposé en studio dans un registre puissant, varié, expressif, s’inscrivant nettement plus dans la lignée de Ronnie James DIO que dans celle d’Ozzy. Qui plus est, sur scène, le bonhomme a toujours assuré sur tous les segments du répertoire du groupe. Il fallait qu’un hommage lui soit rendu.

La qualité du contenu et les contextes ayant été rappelés, reste à jauger l’intérêt de l’objet en lui-même. D’emblée, on peut regretter le choix esthétique qui, prétendant combiner des lettrages dorés (d’ailleurs franchement plus jaunes bon marché qu’autre chose !), un fond noir et des éléments gris, aboutit surtout à rappeler – et donc confondre – ce coffret avec plusieurs autres compilations et coffrets publiés sous le nom de BLACK SABBATH.
Ensuite, les quatre albums sont présentés en format digipack simple, sans leurs livrets respectifs. Manquent donc les paroles et des éléments graphiques d’origine. Pas très respectueux. Plus positif, la présence d’un copieux (plus de cinquante pages) livret, correctement illustré et informatif, même si trop souvent répétitif et relevant davantage de la compilation de citations que de l’exercice d’écriture. Plus un poster Headless Cross et la reproduction soignée du programme de tournée de ce même album.

Cependant, les motifs de fâcherie ne portent pas tant sur ce qui figure dans Anno Domini que sur ce qui en est absent. Certes, pour des problèmes de droits évidents, l’album The Eternal Idol ne pouvait pas figurer dans un coffret, étant initialement sorti chez Warner (Etats-Unis) et Vertigo (Europe), et non chez IRS. Pour autant, comment expliquer l’absence de Cross Purposes – Live, excellent témoignage scénique, paru en 1995, dans un format audio (quatorze titres) et vidéo (seize titres), balayant avec aplomb les périodes Ozzy, DIO et MARTIN ?! Par ailleurs, lors des sessions de Cross Purposes, Eddie VAN HALEN posa un solo sur le morceau Evil Eye, version dont nous n’entendrons rien… pour des raisons de droits. A mon avis, BMG a calculé au plus juste les retombées commerciales attendues d’une des périodes les moins fastes de BLACK SABBATH, a fait plaisir à Tony IOMMI (sûrement dans la perspective de rééditions plus lucratives) et s’est contenté d’un produit honorable, sans plus. Heureusement que, pour trois albums au moins, la qualité de la musique emporte franchement l’adhésion !

Vidéo non officielle de Cross Purposes – Live cliquez ici
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